La faillite nucléaire du modèle énergétique français

Les députés ont décidé mercredi 11 décembre 2013 de mettre en place une commission d'enquête parlementaire sur les coûts passés, présents et futurs de la filière nucléaire. Dans l'hémicycle, personne n'a voté contre la création de cette commission d'enquête « relative aux coûts de la filière nucléaire, à la durée d'exploitation des réacteurs et à divers aspects économiques et financiers de la production et de la commercialisation de l'électricité nucléaire ». Cette enquête nécessaire n'est cependant pas sans précédents. Suite à la catastrophe de Fukushima, deux rapports ont abordé la question sensible du coût de l'électricité et plus particulièrement du nucléaire.

En janvier 2012 la Cour des Comptes rend un rapport sur le même thème . Mais ce travail aussi honorable soit-il n'a pas levé toutes les incertitudes sur les coûts passés, présents et futures de la filière nucléaire française. De grandes incertitudes demeurent en particulier sur les charges futures, à savoir le coût du stockage des déchets, celui de la mise à l'arrêt des réacteurs et surtout de leur démantèlement. La seule certitude qui se dégage de ce rapport est que le coût du nucléaire est sans cesse croissant. Les investissements de maintenance progressent de plus en plus rapidement à mesure que le parc nucléaire vieillit : ils sont passés de 1,5 Md€ en moyenne entre 2008 et 2011, à 1,75 milliard en 2011 et devraient s'élever à 3,7 milliards en moyenne d'ici à 2025. Soit un total de 55 Md€, en incluant les travaux supplémentaires rendus nécessaires par la catastrophe de Fukushima, au Japon .

Quelques mois plus tard est publié le rapport de la commission d'enquête sénatoriale sur le coût réel de l'électricité[1]. Les conclusions auxquelles ont abouti les sénateurs sont sans appel : le prix de l'électricité va connaître une hausse constante. La facture moyenne d'électricité d'un ménage français va s'alourdir de 50 % d'ici à 2020[2] sous réserve, souligne le texte, d'une législation et de comportements de consommation inchangés. Citant des projections de la Commission de régulation de l'énergie (CRE), la commission d'enquête sénatoriale estime que la facture annuelle d'un ménage type ayant souscrit l'option heures pleines-heures creuses - et a priori équipé d'un chauffage électrique - atteindrait 1 307 € en 2020 contre 874,5 € en 2011. Sur l'augmentation de 433 € attendue sur la facture (qui est hors TVA), 28 % viendront de la taxe dite CSPE (contribution au service public de l'électricité), 37 % des réseaux électriques et 35 % de la production d'électricité elle-même.

Si certains mettent en cause les énergies renouvelables, les deux rapports indiquent clairement la responsabilité du nucléaire. Les énergies naturelles et renouvelables ne sont pas suffisamment abondantes en France[3] pour entrainer une telle augmentation des coûts. La dérive globale de la facture d'électricité est due à la hausse constante du coût du kWh nucléaire français[4]. L'ambition de la nouvelle commission d'enquête mise en place le 11 décembre 2013 est d'approfondir la réflexion sur les causes de cette hausse en regardant avec attention la gestion, les choix technologiques ainsi que les coûts d'exploitation et de maintenance de la filière nucléaire.

Des coûts très élevés pour des installations amorties depuis longtemps

Il se dégage des évaluations des sénateurs que les coûts de l'électricité nucléaire française sont encore sous-évalués : en incluant les travaux de maintenance post-Fukushima, la commission les évalue à 54,2 € par mégawatheure. C'est plus que l'évaluation du rapport de référence publié par la Cour des comptes au début de l'année (49,5 €) et plus que le prix de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (Arenh), c'est-à-dire le prix officiel du courant nucléaire, qui est de 42 € depuis le 1er janvier 2012.

Les centrales du littoral haut-normand ne sont pas épargnées par cette dérive des coûts d'exploitation. De l'aveu même du directeur de Penly, le coût du MWh des deux réacteurs de la région dieppoise dépasse aujourd'hui les 42 € pour atteindre environ 45 €. Coût particulièrement élevé si l'on considère que Penly 1 & 2 sont presque totalement amortis.

On touche là à un des problèmes les plus complexes de l'évaluation du coût du nucléaire. Le coût du nucléaire se décompose en trois parties nettement distinctes : la valeur des investissements réalisés, les hypothèses comptables du financement et enfin les coûts d'exploitation corrigés par la disponibilité effective de l'installation[5]. Ainsi en fonction des hypothèses retenues, en particulier le taux d'actualisation, le prix du MWh EPR, déterminé selon la méthode définie par Marcel Boiteux, est compris entre 40 et 120 €. Chacun reconnaissant qu'il se situera très probablement au-dessus de la barre de 80 €[6].

Pour les réacteurs aujourd'hui en service, le rapport entre le prix de revient du kWh et le coût global de l'exploitation se pose de manière différente. Classiquement le mouvement antinucléaire, comme l'a expliqué très clairement Sophia Majnoni de Greenpeace France, devant la commission d'enquête sénatoriale, considère que "le tarif actuel de l'électricité ne reflète pas les coûts de production de l'électricité notamment de par la prédominance dans notre mix électrique du nucléaire, avec un certain nombre de coûts qui ne sont pas des coûts cachés mais des coûts sous-évalués ou mal pris en compte[7]." Une analyse comptable telle qu'ont pu la mettre en œuvre Jean-Michel Charpin, Benjamin Dessus et René Pellat dans un rapport remis à Lionel Jospin en 2000[8], montre que les coûts variables d'exploitation l'emportent désormais sur les coûts fixes.

On est donc en présence d'un curieux paradoxe : selon les principes comptables en vigueur, la vente par EDF de l'électricité produite par les plus vieilles centrales est un gain net; mais l'observation précise de la comptabilité d'EDF donne à voir que ces gains sont rognés par des coûts de maintenance, d'entretien, de réparation et de "mise à niveau de sureté" de plus en plus massifs. Comment s'étonner dès lors des demandes constantes d'EDF depuis une dizaine d'année d'allonger la durée d'exploitation des réacteurs[9] ? Cette stratégie n'est jamais qu'une fuite en avant pour réévaluer artificiellement des actifs dont la valeur s'érode au fil des années au point de ruiner les capacités d'investissements de l'ancien groupe public. Voilà bien le premier coût du nucléaire. Cette technologie loin d'apporter la prospérité promise a brisé les capacités économiques d'une des entreprises les plus solides d'Europe...

Des coûts prohibitifs au regard de la disponibilité des centrales

Le problème serait moins grave si EDF était en capacité d'injecter sur le réseau les 65 880 GW de puissance électrique brute (63 130 GW de puissance nette) d'électricité d’origine nucléaire que peuvent produire les 58 réacteurs français. Alors que la consommation d'électricité en France se maintient à un niveau élevé[10] du fait d'innombrables mésusages[11] et de gaspillages importants[12], l'énergéticien français ne peut subvenir à l'ensemble des besoins. L'explication n'est pas difficile à trouver. Il suffit de regarder le site internet du Réseau de transport de l'électricité[13] (RTE) pour se rendre compte que les centrales françaises se distinguent par une disponibilité toute relative qui ne correspond guère aux rythmes de consommation de la société française[14].

Pierre-Franck Chevet, alors directeur de la Direction générale de l'énergie et du Climat (DGEC), signait en 2009 un document essentiel, la programmation pluriannuelle des investissements de production d'électricité[15] (PPI), qui permet de prendre la mesure de la défaillance du parc nucléaire français.

Cette courbe établit en prenant en compte les coefficients de disponibilité et d'utilisation que la production du parc nucléaire n'a toujours pas retrouvé le niveau atteint en 2005. EDF, en exploitant au maximum de leurs capacités les réacteurs ne produit que quelques 425 TWh (production brute). Cela signifie qu'un cinquième du parc n'est pas disponible notamment en raison des arrêts prévus pour maintenance et renouvellement du combustible, mais aussii du fait de la multiplication des arrêts fortuits et autres défaillances techniques[16]. En 2013, la production atteint pour ainsi dire un niveau plancher[17]...

Or un réacteur à l'arrêt est une charge à la fois technique et financière pour l'exploitant. On évalue le coût d'une journée d'arrêt à environ 1 million €.

Non seulement il faut trouver les ressources pour financer ces défaillances mais trouver des énergies de substitution pour faire face à la demande. Tout au plus, une quarantaine de réacteurs sont effectivement en service sur les 58 construits. La France souffre donc d'un outil de production à la fois cher et dangereux qui est incapable de répondre aux appels de puissance sur le réseau non seulement lors des pointes de consommation mais de plus en plus fréquemment.

Des coûts très nettement supérieurs au service énergétique rendu

En 2012, la production d’électricité en France métropolitaine a été assurée à 76 % par le nucléaire. Avec 425 TWh en 2012, la production nucléaire brute a diminué de 3,8 % après la hausse de 3,2 % constatée en 2011. Cette baisse s’explique par la disponibilité du parc[18]. À 425 TWh en 2012, la production nucléaire a diminué de 3,8 % après la hausse de 3,2 % constatée en 2011. La production brute totale d'électricité se stabilise ainsi depuis 2010 pour s’élever au total à 507 TWh.

Mais ces chiffres officiels doivent être regardés avec réserve. Si 425 TWh sont produits, il convient d'enlever la part de l'autoconsommation pour obtenir ce qu'on appelle couramment la production nette. Ce ne sont plus 425 TWh qui sont disponibles mais 401. Et si on défalque les pertes dues au transport et aux besoins du cycle du combustible[19], on arrive à quelques 360 TWh. Et encore moins dès que l'on intègre les exportations d'électricité. Ainsi donc ce n'est pas moins d'un quart de l'électricité produite par les centrales qui est soustrait avant la fourniture aux usagers.

Le rendement du nucléaire est donc bien en deçà de ce que les partisans de l'atome avancent. Afin de satisfaire les besoins de consommations, la France doit donc compter en plus des capacités nucléaires sur 53 TWh de thermique, 62 d'hydraulique et 14 d'éolien sans parler des importations croissantes[20]. Aujourd'hui ces importations représentent près de 3% de la consommation intérieure... Ainsi, le parc nucléaire français se distingue très nettement par un paradoxe entre une surcapacité des moyens de production depuis longtemps mise en cause[21] et leur indisponibilité chronique. Si la surcapacité a coûté très cher en termes d'investissement, l'indisponibilité pèse considérablement sur les coûts de fonctionnement du parc. On accepte donc de maintenir en service des installations nucléaires de base seulement pour suppléer aux défaillances des autres et cela à un prix sens cesse croissant aux dépens des finances de l'exploitant[22]. Force est de reconnaître que l'on n'a jamais trouvé de moyens aussi peu fiables, dangereux et onéreux pour produire de l'électricité. Comment s'étonner dès lors qu' EDF multiplie les manœuvres comptables pour essayer de cacher la situation alarmante de ses comptes ? La demande de prolongation de l'exploitation des réacteurs s'inscrit dans ce cadre[23]. On peut citer aussi la curieuse entente entre EDF et l'Etat en janvier 2013 au titre de la compensation de ses charges de service public de l'électricité[24]. Tous les moyens semblent bons pour apurer les comptes de l'exploitant et lui permettre de faire face aux charges d'exploitation d'un outil de production obsolète et inadapté aux besoins des usagers. Mais ce que l'Etat concède, le marché ne le tolère plus. Et au final a plus en plus de mal à placer sur le réseau la production de ses centrales.

Des coûts très nettement supérieurs à ceux en vigueur sur le marché de l'électricité européen

Le mythe d'une énergie abondante à bon marché ne résiste plus à l'épreuve des faits. Le nucléaire français est cher, de plus en plus cher. Il suffit pour s'en convaincre d'observer l'évolution du marché européen de l'électricité. En novembre 2012, la France a largement plus importé d’électricité d’Allemagne qu’elle n’en a exporté. Son solde déficitaire s’établit à 870 GWh, soit presque l’équivalent de ce que peut produire un réacteur de la centrale de Fessenheim, révèle l’aperçu sur l’énergie électrique de RTE[25].

Non seulement la France ne peut plus se targuer d'une quelconque indépendance énergétique, mais l'origine de l'énergie importée donne à voir la crise de compétitivité de l'appareil de production d'électricité français. En effet, les MWh vendus par les exploitants allemands en France sont pour l'essentiel issus des énergies renouvelables, photovoltaïques et éoliennes, atteignent désormais des prix extrêmement compétitifs[26]. A certains moments, notamment en raison de conditions météorologiques favorables, les énergies renouvelables allemandes produisent à un coût inférieur à celui des centrales françaises.

La baisse des coûts du marché de l'électricité due à l'éolien est réelle Outre-Rhin, elle dépasse même la subvention que les compagnies régionales doivent donner à l'éolien[27]. Ce phénomène est accentué par le mode de gestion du réseau d'électricité qui prévaut là-bas. Les éoliennes ont non seulement une priorité "légale" en Allemagne mais une priorité politique puisque la République fédérale tient absolument à respecter ses engagements au titre de la directive "renouvelables", c'est-à-dire à maximiser la production d’énergie d’origine renouvlable . Et lorsque l'éolien fait preuve de quelques faiblesses, il est beaucoup plus simple de solliciter des centrales thermiques[28] que de faire appel au marché européen de l'électricité où le prix du kWh atteint fréquemment des sommets[29]. Les algorithmes de gestion du réseau montrent qu'il vaut mieux conserver des centrales à gaz à leur minimum de fonctionnement plutôt que de les arrêter complètement. Il s'agit non seulement de conserver une puissance disponible en réserve instantanée, mais aussi pour des raisons d'optimum de coût qui demande une combinaison de centrales, et pas seulement comme en France une majorité de centrales de base.

Pour les réseaux de nos voisins, il est donc moins cher de produire en centrale à gaz que d'importer. Somme toute cette nouvelle donne énergétique sur un continent où tous les réseaux de distribution sont étroitement connectés remet en cause clairement la pertinence du choix nucléaire et plus encore sa rentabilité. La France désormais intégrée à ce réseau de distribution européen de l'électricité, au moins pour l'électricité marginale et sur une grande partie de l'année, ne dispose plus d'aucune rente de situation. La vision "colbertiste" d'exportation du courant qui rapportait des devises quoi qu'il arrive est devenue caduque.

Le fonctionnement du marché de l'électricité est ainsi en voie de tuer le nucléaire français. En effet, le marché européen de l’électricité est régi par le principe du merit order, autrement dit de la préséance économique, qui consiste à faire appel aux unités de production en fonction de leurs coûts marginaux croissants. Concrètement, quand une demande d’achat est envoyée sur le marché, les premières unités de production appelées sont celles qui fabriquent de l’électricité dite fatale, c’est-à-dire perdue si elle n’est pas utilisée à un instant donné. Il s’agit de l’énergie d’origine hydraulique au fil de l’eau, éolienne et solaire, qui passe devant le nucléaire, lui-même précédant les centrales à charbon, gaz et fioul.

La situation frôle l'absurde dans certaines circonstances. En décembre 2012, dans un contexte climatique exceptionnel, la demande d'électricité en France a été particulièrement faible au regard des prévisions. Or au même moment les conditions atmosphériques ont permis une production abondante d'électricité éolienne. 5 982 MW ont été produits le 26 décembre à 16 h 15[30]. EDF s'est ainsi trouvé en situation de surproduction d'électricité nucléaire sur un marché européen où le coût du kWh a atteint des prix plancher[31]. Du 26 décembre au 1er janvier, le prix du MWh n'a jamais dépassé les 30 €... même en heure de pointe ! Faute de trouver des débouchés et une rémunération suffisante, EDF a pris la décision de suspendre la production de plusieurs réacteurs nucléaires. 10 % du parc nucléaire français en service ont ainsi été arrêtés en France, semaine 52. En Haute-Normandie, 50% des réacteurs étaient à l'arrêt !

Et pendant ce temps-là, la balance énergétique française continue de se creuser...

Pierre Mesmer a vendu le nucléaire à la France au prétexte de limiter la dépendance extérieure du pays et de garantir l'indépendance énergétique de la nation. Quarante ans après ce discours est non seulement anachronique mais il ne résiste pas à l'épreuve des faits. Compte tenu de la structure de la demande d'énergie française, le nucléaire n'a jamais pu limiter la hausse constante de la facture acquittée par la France, en particulier pour payer les importations d'hydrocarbures et autres combustibles fossiles[32].

On pense bien évidemment au pétrole. Mais il ne faut pas oublier le charbon. En août 2012, EDF a dû faire appel à des moyens thermiques classiques pour compenser la piètre disponibilité des centrales et les défaillances des centrales hydrauliques dans un contexte de sécheresse[33]. Toujours est il qu'en 2012, la facture énergétique de la France s'est élevée à 68.5 Md€, soit davantage que le déficit de la balance commerciale française(67,2 Md€). La dépendance française aux importations d’énergies fossiles associée à une hausse du prix de ces énergies explique l’importance de cette facture.

Dans son bilan énergétique de la France pour l'année 2012, le ministère du développement durable fait état d'une facture énergétique française à son plus haut niveau jamais recensé. Elle s’est alourdie de 7 Md€ en un an (+ 11,4 %) et de 30 Md€ depuis 2009. Elle a représenté ainsi l’équivalent de 3,4 % de la richesse produite dans le pays, après 3,1 % en 2011 et 2,4 % en 2010, contre seulement 1 % dans les années 1990. La seule facture pétrolière s’est chiffrée à près de 55 Md€, en hausse de plus de 4 milliards (+ 8,4 %) par rapport à 2011. Le poids relatif de la facture énergétique dans les importations est remonté pour la troisième année consécutive : 16,7 %, soit plus d’un point qu’en 2011. Le dernier record de 2008 est désormais dépassé (16 %). En 2012, il fallait en moyenne 57 jours d’exportations totales du pays pour compenser la facture énergétique, soit 4 jours de plus qu’en 2011. Il faut remonter à la période du second choc pétrolier (1985) pour trouver une facture énergétique plus lourde relativement au commerce extérieur.

Bien évidemment la charge d'acquitter cette facture exorbitante revient aux habitants. En 2012, les dépenses courantes d’énergie des ménages ont augmenté de 6 % par rapport à 2011, soit deux fois plus que l’année précédente. Elles ont ainsi représenté une facture de 3 200 € en moyenne par ménage, presque 200 euros de plus qu’en 2011[34]. Cette augmentation est essentiellement due aux dépenses d’énergie dans le logement qui ont bondi de 11 % (chauffage, eau chaude sanitaire, cuisson, électricité spécifique). Tel est le prix du nucléaire... Un français sur trois aujourd'hui peine à payer sa facture énergétique[35]. Et une nouvelle expression fait florès, la précarité énergétique. Entre 6 et8 millions de personnes sont touchés par ce mal social au point de voir leur santé fragilisée[36].

Or la facture est plus lourde encore que d'aucuns l'imaginent

Si traditionnellement le mouvement antinucléaire insiste sur le coût absolu du nucléaire, un regard décalé sur la situation énergétique de la France donne à voir que le coût relatif de cette technologie est considérable. En essayant de trouver une solution pour modérer la facture énergétique, la France s'est lancée dans une aventure folle dont les coûts ont pu être amortis tant qu'EDF est resté sous le giron de l'Etat. Aujourd'hui ce sont les usagers qui payent au prix fort la dérive nucléaire du modèle énergétique français. L'addiction à l'électricité est un mal français qui n'est pas sans rapport avec les gaspillages de toute nature que l'on observe par ailleurs. Le nucléaire a laissé croire que l'abondance était advenue. Aujourd'hui il se heurte à une terrible réalité : dans un monde fini, il n'y a pas d'énergie infinie surtout quand celle-ci est synonyme de catastrophe.

Tel est bien là l'ultime coût du nucléaire. En un instant, cette technologie peut entrainer des dépenses tellement considérables qu'elles peuvent causer la chute d'un régime politique, voire d'un modèle de société. Ainsi la catastrophe de Tchernobyl, quoi qu'on pense du socialisme réel, a bel et bien entrainé la chute de l'Union soviétique de l'aveu même de Mikhaïl Gorbatchev[37]. Au Japon, un rapport officiel a révisé en juillet 2013 à la hausse la facture de la catastrophe[38]. Le coût du nettoyage de la zone contaminée par les retombées radioactives sera cinq fois plus élevé que ce que le gouvernement avait estimé et budgété, selon l'Institut national des sciences et technologies industrielles nippon. Il pourrait s'élever à 5 800 milliards de yens, soit 44 Md€. L'Institut de recherche sur la sureté nucléaire à partir des retour d'expérience de ces deux catastrophes évalue à 430 Md€ le coût global d'une catastrophe nucléaire[39]. Rien que le traitement des eaux contaminées de Fukushima est évalué à 360 m€[40]. Quel état peut se permettre de telles dépenses ?

Or chacun sait qu'une telle catastrophe est tout à fait susceptible de survenir en Europe. Le nouveau président de l'Autorité de sureté nucléaire française le rappele à loisir à la moindre interview[41]. Il a encore rappelé cette triste réalité le 11 décembre 2013 à l'occasion de la 25e rencontre nationale des Commissions locales d'informations auprès des installations nucléaires de base. L'enjeu n'est plus seulement d'éviter le drame mais de préparer l'accident et plus particulièrement l'organisation des secours à une échelle inconnue jusque-là[42]. Cela a évidemment un coût[43]...

Mais reste à savoir quelle étape de la chaîne du combustible sera à l'origine de cette catastrophe inéluctable, voire de la série d'accidents qui au total auront un coût aussi fort. Les réacteurs sont bien évidemment au coeur de ce faisceau de risques majeurs pour la santé et l'environnement. On ne doit pas négliger pour autant les sites de stockage des matières accumulées par cinquante années d'exploitation civile et militaire de l'atome. Les indices sont concordants. Il n'y a pas un site de l'ANDRA qui aujourd'hui en France n'entraîne pas des pollutions plus ou moins importantes. Les déchets radioactifs s'entassent sans que toutes les garanties de sureté soient présentes. Le coût de la gestion de ces matières apparaît dès lors comme un défi économique que personne n'est en mesure de chiffrer précisément malgré le débat si peu public qui a eu lieu sur le projet de stockage en couche géologique profonde .

Et si on ajoute à cela le coût lui aussi largement inconnu du démantèlement, on se rend bien compte que le nucléaire n'a pas encore révélé son coût global. Tant que les réacteurs étaient en fonctionnement et que la consommation d'énergie progressait, les coûts indirects de l'énergie nucléaire pouvaient être habilement dissimulés. Mais aujourd'hui, à l'heure où les réacteurs arrivent en fin de vie que les déchets constituent une montagne de risques difficilement maîtrisable, il est urgent de chiffrer ce qui autrefois était considéré comme une simple externalité. La facture s'annonce très lourde... suffisamment lourde pour ne pas persévérer sur la voie du nucléaire. Chaque jour accroit la probabilité que l'accident survienne et la masse de déchets à gérer. La seule issue n'est autre que de lever l'hypothèque nucléaire comme ont eu le courage de le faire les Allemands... même si l'arrêt du nucléaire à un coût il sera moins grand que celui de sa poursuite à une époque où on ne sait même plus construire de réacteur !

Notes et commentaires

[41] http://www.lemonde.fr/idees/article/2013/06/15/l-accident_3430811_3232.html

[42] http://www.asn.fr/index.php/Bas-de-page/Sujet-Connexes/Gestion-post-accidentelle/Comite-directeur-gestion-de-phase-post-accidentelle/Elements-de-doctrine-pour-la-gestion-post-accidentelle-d-un-accident-nucleaire-5-octobre-2012

[43] http://www.irsn.fr/FR/Actualites_presse/Actualites/Pages/20130219-Travaux-recherche-IRSN-cout-economique-accidents-nucleaires.aspx

[37] http://www.lefigaro.fr/debats/2006/04/26/01005-20060426ARTFIG90161-tchernobyl_le_debut_de_la_fin_de_l_union_sovietique.php ; http://groupes.sortirdunucleaire.org/Mikhail-Gorbatchev

[38] http://www.lefigaro.fr/conjoncture/2013/07/24/20002-20130724ARTFIG00322-fukushima-la-facture-s-alourdit-a-44-milliards-d-euros.php

[39] http://sciences.blogs.liberation.fr/home/2013/03/fukushima-2-ans-le-vrai-co%C3%BBt-dun-accident-nucl%C3%A9aire.html

[40] http://www.latribune.fr/entreprises-finance/industrie/20130903trib000782897/360-millions-d-euros-le-cout-du-traitement-des-eaux-contaminees-de-fukushima.html

[34] http://www.la-croix.com/Ethique/Environnement/La-facture-energetique-de-la-France-s-alourdit-2013-07-30-992739

[35] http://www.liberation.fr/societe/2013/10/24/un-tiers-des-francais-peinent-a-payer-la-facture-d-energie_941974

[36] http://www.lemonde.fr/societe/article/2013/12/12/la-sante-patit-de-la-precarite-energetique_4332714_3224.html

[32] Le prix de l’électricité exportée calculée par les Douanes françaises s’est établi à 4,5 c€/KWh en moyenne sur l’année 2012, en baisse de 6,2 % par rapport au prix moyen constaté en 2011. Le pic atteint en 2008 (6,3 c€/KWh) avait été suivi d’une forte chute en 2009 (- 38 %) puis de deux années de rattrapage (+ 15 % en 2010 et + 7,2 % en 2011). La baisse constatée en 2012 a tout juste permis de retrouver le prix moyen de 2010.

[33] http://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/donnees-densemble/1925/2019/ensemble-bilans-lenergie-france.html

[30] http://www.energie2007.fr/actualites/fiche/4289/eolien_rte_energie_record_froid_vent_electricite_ademe_271212.html

[31] http://www.ecoco2.com/blog/?p=1551

[26] http://www.global-chance.org/L-energie-en-Allemagne-et-en-France-une-comparaison-instructive

[27] voir rapports de l'EWEA sur ce point sur http://www.ewea.org/publications/

[29] http://www.lemonde.fr/economie/article/2012/11/28/electricite-l-europe-retourne-au-charbon_1797054_3234.html [4] http://www.actu-environnement.com/ae/news/marche-unique-electricite-europe-interconnexions-importations-19189.php4

[1] http://www.senat.fr/notice-rapport/2011/r11-667-1-notice.html

[2] http://www.lemonde.fr/economie/article/2012/07/19/la-facture-d-electricite-des-francais-doublera-d-ici-a-2020_1735483_3234.html

[3] http://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/fileadmin/documents/Produits_editoriaux/Publications/References/2013/Ref-bilan-energetique-de-la-france2012bis.pdf

[4] http://www.senat.fr/rap/r11-667-1/r11-667-1-syn.pdf

[5] http://www.manicore.com/documentation/cout_elec.html

[6] http://www.latribune.fr/entreprises-finance/industrie/energie-environnement/20121204trib000735119/l-epr-de-flamanville-plus-cher-que-l-eolien-terrestre-.html ; http://decodeurs.blog.lemonde.fr/2012/12/10/nkm-optimiste-sur-le-cout-de-lelectricite-produite-par-lepr/ ; http://www.lepoint.fr/economie/epr-au-royaume-uni-le-cout-du-nucleaire-en-question-21-10-2013-1746319_28.php ; http://www.slate.fr/story/45429/le-nucleaire-de-demain-ca-vaut-le-cout

[7] http://videos.senat.fr/video/videos/2012/video12609.html

[8] http://www.ladocumentationfrancaise.fr/rapports-publics/004001472/index.shtml

[9] http://www.lemonde.fr/planete/article/2013/10/13/l-etat-compte-prolonger-de-dix-ans-la-vie-des-centrales-nucleaires_3494983_3244.html ; http://fr.reuters.com/article/businessNews/idFRPAE98Q06620130927

[10] La consommation d’électricité primaire non corrigée des variations climatiques a augmenté de 2,8 % en 2012, à 462,9 TWh. Après correction des variations climatiques, en raison des températures moins chaudes en moyenne sur l’année par rapport à 2011 (environ 1°C en moins), elle n’a augmenté que de 1,2 %.En revanche, du fait de l’application de coefficients d’équivalence très favorables au nucléaire, la consommation primaire corrigée des variations climatiques exprimée en tonne-équivalent-pétrole (tep) a baissé de 2,1 % à 114,2 Mtep, sa première diminution depuis 2009.

[11] http://www.powermetrix.fr/fr/

[12] http://www.global-chance.org/Du-gachis-a-l-intelligence-Le-bon-usage-de-l-electricite

[13] http://clients.rte-france.com/lang/fr/visiteurs/vie/tableau_de_bord.jsp

[14] http://www.actu-environnement.com/ae/news/consommation-production-electricite-charbon-pointe-17587.php4

[15] http://www.developpement-durable.gouv.fr/Les-PPI-electricite-et-chaleur-et.html

[16] http://www.reporterre.net/spip.php?article4071

[17] http://clients.rte-france.com/lang/fr/visiteurs/vie/bilan_RTE.jsp

[18] 79,7 % en 2012 contre 81,3 % en 2011 selon les pouvoirs publics

[19] La consommation d’électricité primaire de la branche énergie a décru pour la deuxième année consécutive, à 80,7 TWh (- 3,8 %). La mise en service d’une nouvelle usine d’enrichissement de l’uranium, dont la technique est nettement moins consommatrice d’électricité, explique la plus grande partie de la baisse.

[20] Le solde des échanges extérieurs physiques, globalement exportateur, a baissé de 21 % en 2012 après avoir progressé de 84 % en 2011 et de 20 % en 2010. Il diminuait de façon quasi continue depuis le pic de 2002 (77 TWh), pour tomber à 26 TWh en 2009, niveau le plus bas atteint depuis 1986. La fluidité des interconnexions entre pays facilite les échanges en privilégiant le recours à l’énergie disponible à prix attractif au détriment de la mise en œuvre de moyens de production nationaux économiquement peu compétitifs.

[21] http://www.global-chance.org/IMG/pdf/GC25p26.pdf ; http://archive.greens-efa.eu/cms/topics/dokbin/259/259489.audel_du_mythe@en.pdf ; http://www.ee-consultant.fr/IMG/pdf/Surcapacite_nucleaire_AB_2006.pdf

[22] http://planete.blogs.nouvelobs.com/media/01/00/783237392.pdf ; http://www.actu-environnement.com/ae/news/dette-financiere-edf-areva-12039.php4

[23] http://eelv.fr/2013/10/13/prolonger-la-duree-de-vie-des-reacteurs-nucleaires-serait-une-provocation-politique-un-mensonge-economique-et-une-aberration-energetique/ ; http://www.enerzine.com/2/16387+aucune-decision-prise-sur-la-prolongation-des-centrales-nucleaires+.html

[24] http://www.actu-environnement.com/ae/news/passif-cspe-edf-remboursement-2018-reforme-17505.php4

[25] http://www.mediapart.fr/journal/economie/181212/electricite-la-france-nest-pas-si-competitive-que-ca