En février 2015, le charmant bourg côtier de Saint-Valéry en Caux était sous les eaux. En prélude à la marée du siècle, le littoral haut-normand est touché par une marée exceptionnelle. Le coefficient de marée a atteint 117[1] à 13h20 et les flots ont submergés le port[2]. L'ensemble du littoral de la Manche a été touché par ce mouvement marin. La Bretagne a été tout particulièrement touchée[3]. Quelques heures durant le Mont-Saint-Michel est redevenu une île[4]. Manifestement ce phénomène naturel a été bien anticipé et aucun incident n'a eu lieu[5].
Les flots de ce week-end du 21 février ne sont jamais que le signe avant coureur d'un phénomène plus massif qui va toucher les littoraux de France dans un mois[6]. Les côtes françaises s'apprêtent à affronter cette année un cycle de marées hautes, qui ne revient que tous les 18 ans. Le coefficient de marée va ainsi monter à 118 vendredi soir et 119 le 21 mars, pour la soi-disant «°marée du siècle°». Au total, le coefficient sera supérieur à 100 pendant 40 jours en 2015, dont 20 au dessus de 110, selon le service hydrographique national (SHOM)[7].
Ce phénomène n'est pas un simple caprice de la météo. Il s'agit d'un risque naturel qui peut impacter les équipements, les installations et l'habitat. A marée haute des submersions plus ou moins fortes peuvent se produire en fonction de la force du vent et de phénomènes climatiques localisés[8]. Que se passerait-il si une tempête survenait lors d'une forte marée ? Manifestement, il semblerait que tout n'est pas fait pour atténuer les effets d'un tel événement cinq ans après Xynthia[9].
Les centrales nucléaires sont particulièrement exposés à ce phénomène et à ses conséquences. La submersion des sites littoraux du Blayais à Gravelines est non seulement possible mais inéluctable. Officiellement les événements climatiques et marins constitue «°un risque pris en compte à la conception des installations et réévalués lors des examens de sureté ou la suite de certains événement exceptionnels.°» Pour autant si le danger est connu rien ne prouve qu'il ait été apprécié à sa juste mesure par l'exploitant. L'Autorité de sûreté à l'occasion des évaluations complémentaires de sureté en 2011 a reconnu l'existence quelques «°enjeux de sureté...°»
En 1999, la France n'a pas été loin de la catastrophe au Blayais[10]. Aucun élément tangible ne permet de dire qu'aujourd'hui un autre drame serait évité. Une conjonction de phénomènes naturels, de défaillances humaines et matérielles peuvent entrainer une dynamique accidentelle fatale. Les centrales ne sont pas suffisamment robuste pour faire face à la puissance de la Nature. Il suffit pour s'en convaincre de parcourir la documentation disponible et les informations publiées par l'ASN et l'IRSN depuis 2011.
Le risque marin attesté par les Evaluations complémentaires de sureté
La démarche d'évaluation complémentaire de sureté à laquelle François Fillon a soumis les exploitants nucléaires a permis de donner à voir les multiples faiblesses du parc nucléaire français. La commission européenne a été la première surprise de constater le laisser-aller hexagonal[1]. Même si le rapport final a été notoirement expurgé de ses passages les plus sévères[2] par la diplomatie française[3], il n'en reste pas moins un document très instructif[4].
La sentence est sans appel :
«°Flooding risk: In the design of 62 reactors (~43%), modern standards for flooding risk calculation are not taken into account. The risk calculation should be based on a 10°000 year time frame, instead of the much shorter time frames sometimes used[5].°» Les tableaux joints en annexe du rapport proposent un aperçu détaillé de l'insuffisance du dimensionnement des réacteurs français face au risque d'inondation. Tous font l'objet de la même recommandation°: «°External hazard safety cases corresponding to an exceedance probability of less than once in 10°000 years should be used: for flooding.[6]°» Et la Commission enfonce le clou en préconisant une réponse globale à ce risque à l'échelle de l'Union. «°European guidance should be developed on the assessment of natural hazards, including earthquake, flooding and extreme weather conditions, and safety margins, in order to increase consistency between Member States. The Western European Nuclear Regulators' Association (WENRA), involving the best available expertise from Europe (linked with the first finding under 2.2.2.) would be well placed to carry out this task.[7]°»
Le rapport de l'ASN sur les Evaluations de sureté publié le 3 janvier 2012 éclaire le point de vue de la commission[8]. Tout d'abord ce sont les procédures de réponse au risque d'inondation qui sont mises en cause. «°L'ASN considère donc que l'intégration sur les sites des règles particulières de conduite en cas d'inondation doit être améliorée.» Ensuite un très grand nombre de remarques sont faites pour les sites qui présentent des faiblesses notables. Par exemple, «°à Gravelines, la marge minimale par rapport à la CMS [cote majorée de sécurité] n'est pas conforme aux exigences des référentiels d'EDF sur une partie du site (muret d'accès est)°», ou bien «°à Flamanville, le programme de base de maintenance génie civil du site ne prévoit qu'un contrôle visuel de la digue, sans visite subaquatique.°» Plus généralement, l'Autorité de sureté émet des réserves sur la disponibilité réelle des moyens mobiles de pompages et sur l'alimentation électrique des moyens fixes...
Et là on touche aux limites de l'action de l'ASN. Si des recommandation sont établies, elles portent toutes sur les réponses à apporter en cas de crise. Nulle part ne figure une quelconque injonction de travaux adressée à l'exploitant. Les décisions publiées en juin 2012 n'en disent guère plus[9]. Les prescriptions, communes pour différents sites, déclinent des objectifs généraux sans jamais indiquer des solutions concrètes et spécifiques qui permettent d'atténuer des problèmes locaux.
Les Décisions de l'ASN se ressemblent toutes. Que ce soit pour Flamanville, Paluel ou Penly on retrouve les mêmes articles. L'ECS-5 demande que «°Au plus tard le 30 juin 2012, l’exploitant réalise les remises en conformité de la protection volumétrique mentionnées dans la note D4550.31-12/1367- Indice 0.°» L'ECS-6 «°Avant le 31 décembre 2013, l’exploitant présentera à l’ASN les modifications qu’il envisage en vue de renforcer, avant le 31 décembre 2016, la protection des installations contre le risque d’inondation au-delà du référentiel en vigueur au 1er janvier 2012, par exemple par le rehaussement de la protection volumétrique, en vue de se prémunir de la survenue de situations de perte totale de la source froide ou des alimentations électriques, pour les scénarios au-delà du dimensionnement.°» Tout cela est suffisamment vague pour permettre à l'exploitant de faire ce que bon lui semble. L'ECS-15 quant à elle invite l'exploitant à réaliser avant le 30 juin 2012 «°une revue globale de la conception de la source froide vis-à-vis des agressions ayant un impact sur l'écoulement et la qualité de l'eau et du risque de colmatage de la source froide.°»
Une chose est certaine, la capacité des réacteurs à faire face à une agression extérieure fait clairement défaut. Ce n'est pas tant la submersion du site que l'Autorité de sureté craint mais les pertes d'alimentation et l'isolement du site. Comment s'étonner dès lors qu'une des sentences les plus sévères du rapport de décembre 2011 concerne le risque d'inondation :
Toutefois, l’ASN constate que les dispositions permettant de satisfaire ces exigences ne sont pas encore toutes mises en oeuvre.
L’ASN va imposer à EDF : ·
de terminer, dans les délais prévus à la suite de la réévaluation « inondation » de 2007 et au plus tard en 2014, les travaux et mesures de protection des centrales nucléaires ; ·
d’améliorer la gestion de la protection volumétrique16 des installations. En effet, les inspections de l’ASN ont mis en évidence que la gestion de la protection volumétrique doit être améliorée sur plusieurs sites inspectés ; ·
d’achever la revue de la conception de la source froide, notamment vis-à-vis de la prévention des risques de colmatage, engagée à la suite de l’incident de Cruas en 2009 ; ·
de renforcer la protection des installations contre le risque d’inondation au-delà du référentiel actuel, par exemple par le rehaussement de la protection volumétrique. En effet, les ECS ont mis en évidence l’existence d’effets falaise (perte totale des alimentations électriques) pour des niveaux proches de ceux retenus dans le référentiel.
En outre, à la suite des évaluations complémentaires de sûreté (ECS) des installations nucléaires, menées après l’accident de Fukushima, l’ASN considère nécessaire de rendre plus robuste la sûreté des installations nucléaires vis-à-vis de risques très peu probables et non pris en compte à ce jour dans le dimensionnement des installations ou après leur réexamen périodique de sûreté.
Il faut dire que la règle fondamentale de sureté aujourd'hui en vigueur, la RFS I.2.e[1] de 1984 corrigée en 2001, ne retient pour le dimensionnement des installations que des aléas peu exceptionnels (pluie de forte intensité et niveau de pleine mer de marée moyenne (coefficient 70) ; pluie régulière et continue et niveau global de mer d’occurrence centennale). Somme toute, il apparait que les CNPE du littoral sont tout à fait prêt à résister à une élévation progressive du niveau de la mer. Mais peuvent ils résister à une conjonction de pluies, de houles à l'occasion de marées centennales ?
Des centrales très fragiles
On est en droit de parler d'un défaut général de robustesse des installations face aux risques marins. L'ASN ne dit pas autre chose°: une submersion partielle ou totale de la plateforme de l'îlot nucléaire ne peut être exclue pour aucun site littoral. Il suffit de regarder les rapports remis en 2011 par l'exploitant pour s'en convaincre[1].
Les chiffres parlent d'eux-mêmes. Au Blayais, près de vingt ans après l'inondation du site, la plateforme est toujours 60 cm sous la cote majoré de sureté définie par la fameuse RFS I.2.e. A Gravelines la situation est identique si ce n'est qu'ici le risque de submersion à revers est plus fort encore qu'en Gironde[1]. Au moins des efforts ont été envisagés sur ces deux sites pour tenter de protéger les installations[2]. Ce n'est pas le cas pour les réacteurs de 1 300 MWe de Normandie. La seule disposition matérielle pour atténuer les effets d'une submersion est le «°calage de plateforme°», c'est à dire la hauteur de la plateforme au regard de la CMS. A Paluel, la marge est de presque 15 m. En revanche à Penly et Flamanville seuls 5 petits mètres protègent les réacteurs.
A Penly, la situation est beaucoup moins confortable que veut bien le reconnaître l'exploitant. Le niveau de la mer pleine envisagée lors du dimensionnement était de 5.54 m. Afin de prendre en compte des événements exceptionnels, EDF a estimé à 1.40 m la surcote millénaire. Au final la construction a été réalisée au regard d'une CMS à 6.94 m et le polder établi à 12 m[3].
Ces chiffres sont contredits immédiatement par le rapport. Si l'exploitant ne reconnait pas la possibilité d'un tsunami ou d'un séisme, il admet qu'une forte houle porte le CMS au droit des stations de pompage à 7.90 m.
Les quelques 4 m qui séparent la plateforme du niveau des plus hautes eaux fondent ainsi au fil des pages. En dépit de tous les efforts déployés par l'exploitant pour convaincre que le dimensionnement de l'installation au regard de la RFS est suffisant des doutes demeurent. Le premier d'entre eux concerne la conjonction d'une forte marée et de pluies diluviennes. Dans de telles circonstances la plateforme peut être submergée par la remontée de la nappe de la craie qui a percolé sous le remblai. Si à cela on ajoute une forte houle créant un effet d'intumescence, force est de reconnaitre que le site peut-être totalement inondé et des équipements IPS sévèrement endommagés[1].
Ce risque existe bel et bien ici au niveau des stations de pompage[2]. Le rapport de sureté admet que ces équipements mais aussi les pompes SEC et les pompes de lavage des tambours CFI sont installés dans des alvéoles rendues étanches jusqu'au niveau de 8.32 m pour les voiles en contact avec la mer (sans compter les exhaures qui peuvent être aussi submergés). En cas de forte houle la marge de sureté n'est donc que de quelques 40 cm. Même si l'exploitant prétend que les moteurs et les installations électriques sont intégrés dans le périmètre de la protection volumétrique, il faut reconnaître que le plancher de ces salles se situe seulement à 7.10 m soit en dessous de la CMS. Le problème est d'autant plus grave qu'EDF reconnait que la protection volumétrique connait un point de faiblesse au niveau de la trémie du passage de l'arbre d'entrainement du tambour filtrant et de la trémie reliant la zone tambour à la réservation pour fosse à poisson. Et de là l'eau peut s'engouffrer vers les salles des machines par une série de galeries[3].
Le plus surprenant est la confiance de l'exploitant. Sans jamais le démontrer, EDF est persuadé que la «°protection volumétrique°» sera opérante en toute circonstance. Mais que se passerait-il si une rupture du circuit de refroidissement en salle des machines survenait dans un contexte de forte marée ? Ce scénario peut paraitre fort improbable. Il conviendrait néanmoins de le considérer au vu des fragilités reconnues de l'installation face au risque sismique. L'ASN ne dit pas autre chose. Ainsi a-t-elle demandé, en 2011, à EDF «°d’identifier les structures, systèmes et composants (SSC) qui doivent rester disponibles après l’inondation pour assurer un état sûr, y compris les dispositions pour assurer le fonctionnement de la station de pompage et les dispositions pour assurer l'alimentation électrique de secours.°» In fine le problème majeur est bien celui de la perte d'alimentation en source froide qu'elle soit due à un colmatage de la prise d'eau ou une inondation de la station pompage. L'ASN regrette ainsi que la stratégie d'EDF pour faire face au risque d'inondation ne prenne pas suffisamment en compte la possibilité d'effets falaises. La doctrine de la réduction du risque à la source montre ici toutes ses limites. Quelques soient les dispositifs mis en œuvre pour renforcer des équipements nécessaires à la conduite en situation H1 ou H3[1], il semblerait que l'exploitant admet qu'il ne peut rien contre un accident marin. Que la principale protection est la mise à l'arrêt d'urgence de l'installation... en espérant que les systèmes de refroidissement auxiliaires fonctionnent. Si le Blayais a tenu en 1999, cela n'a pas été le cas à Fukushima. Qu'en serait il à Penly si une tempête survient lors des Grandes Marées ? La vulnérabilité des locaux diésels amène à craindre le pire alors que les DUS n'ont pas encore été mis en place.
Gravelines une centrale submersible
Si les 1 300 ne sont pas très robustes, la situation des 900 est pire encore. Chacun connait la vulnérabilité du Blayais où toutes les leçons de 1999 n'ont pas été tirés[1]. Mais c'est à quelques kilomètres de Dunkerque que la situation est la plus inquiétante. Le site de la centrale est en effet hors norme. La centrale de Gravelines est construite sur le delta d’une rivière, drainé et endigué pour créer un polder sur lequel de l’agriculture puis des industries sont implantées, en dessous du niveau de la mer, jusqu’à 4 ou 5 mètres à certains endroits. L’eau ne s’écoule pas naturellement jusqu’à la mer, elle doit être évacuée par un système de drainage appelé wateringues qui n’est efficace que lorsque la mer est basse. Comme le reconnait Greenpeace «°la centrale située sur une plateforme légèrement surélevée pourrait se trouver isolée, entourée par l’eau qui viendrait aggraver une situation accidentelle sur la centrale en empêchant l’accès des hommes et du matériel[2].°»
Les inspections complémentaires de sureté ont été ici très méticuleuses. « Nous avons contrôlé point par point que tout était conforme », confirme Denis Barras, qui pilotait l’opération à Gravelines. La tâche se révèle rapidement chronophage. « Par exemple, le site étant situé en bord de mer, il est plus exposé à un risque d’inondation. Il a fallu confirmer qu’en cas de montée des eaux, le matériel nécessaire pour réalimenter la centrale en eau ne serait pas noyé, ce qui suppose de contrôler les murets, l’étanchéité des trémies (passages de câbles, tuyaux)…[1]. »
Mais le souci de vérifier la conformité du site au référentiel de sureté en vigueur ne se retrouve guère dans les décisions de l'Autorité de sureté. L'annexe à la décision n°2011-DC-0286 reprend les articles présentés plus haut (ECS-4, ECS-5, ECS-6, ECS-15, ECS-17, etc.). On ne trouve pas trace des prescriptions les plus urgentes dont l'IRSN fait état sur son site[1]. En particulier rien n'est dit sur le nécessaire développement des protections contre une submersion à revers du site. La Décision n° 2014-DC-0406 de l’Autorité de sûreté nucléaire du 21 janvier 2014 concernant la mise en œuvre des noyaux durs n'est pas plus précise. Comme en 2012, des articles génériques sont déclinés sans qu'aucune prescription spécifique soit publiée. Le principe est de renforcer la robustesse des systèmes, structures et composants (SSC) nécessaire pour prévenir un accident avec fusion du combustible ou en limiter la progression. Tout au plus le document reconnait qu'une inondation peut entrainer une «°situation noyau dur°» à laquelle l'exploitant doit pouvoir faire face en toute circonstance.
Rien n'est dit sur le nécessaire renforcement d'une installation dont les stations de pompage sont construites 1.75 m en dessous de la cote de la plateforme... elle même en dessous de la CMS[2]. Il faut dire que l'exploitant n'a pas facilité le travail des experts publics. Le rapport complémentaire de sureté joue sur les unités de mesure pour imposer l'idée qu'en dernier recours la centrale ne risque rien... notamment face à une inondation causée par un débordement du chenal de l'Aa ou face à un percement de la digue littorale. L'existence de deux canaux distincts pour amenée et rejets n'est même pas envisagé comme une contrainte supplémentaire...
Un document établi par le bureau d'étude I-résilience est bien moins confiant que l'exploitant en la capacité de la centrale à faire face à une élévation forte du niveau des eaux[1].
Compte tenu de : ·
la présence de zones considérées comme inondables à 5m alors que la centrale est située à 6m NGF. ·
de l’absence de cartes relatives au PPR inondation prescrit de l’Aa, crue pouvant amplifier le niveau de côte de la submersion. ·
de la position de la centrale en front de mer, située à l’arrière de digues · du fait que la commune soit concernée par un risque de rupture de barrage.
Nous considérons par défaut que la centrale se situe en zone inondable par rupture de digue.
De surcroit une remontée de la nappe n'est pas à exclure ici au droit du CNPE et ne ferait qu'accroître le risque de submersion des installations mais aussi leur isolement[1]. En fait tout concourt ici à augmenter la probabilité qu'un événement grave survienne lors d'un épisode marin de forte intensité quoi qu'en disent les experts officiels[2]. L'absence de Plan de prévention des risques d'inondation est l'indice le plus clair qui donne à voir l'embarras des pouvoirs publics[3].
Il faut dire que la région est exposée au risque d'inondation de manière non négligeable[1]. Lors de la tempête du 1er février 1953, une surcote de 2,40 m s’est formée, conduisant à un niveau d'eau exceptionnel de 7,90 m à Dunkerque et à une inondation de l'ensemble de la basse ville (aux Pays-Bas 200°000 ha ont été inondés et 1°500 victimes dénombrées). En Flandres maritime existent finalement trois principaux risques qui peuvent entrainer une submersion de la centrale et la perte d'alimentation en source froide : la rupture ou à la destruction d’un cordon dunaire à la suite d’une érosion intensive comme en Camargue[2] ; le débordement ou à la rupture de digues ou d’ouvrages de protection, ou encore à leur franchissement par des paquets de mer ; et la défaillance des stations d'évacuation à la mer dans le Wateringues.
Un document établi par la DREAL du Nord en 2012 reconnait que les «°protections peuvent défaillir ou ne suffisent pas face à des conditions marines exceptionnelles liées au passage d'une forte tempête[1].» Il n'est pas déraisonnable d'extrapoler ces données pour envisager ce qui pourrait se produire à l'Est du secteur étudié par les services de l'Etat. La centrale nucléaire de Gravelines est en effet située dans le territoire du TRI de Dunkerque[2]. La CLI de Gravelines n'ignore pas cette réalité et émet quelques doutes sur les évaluations de l'exploitant et plus particulièrement la capacité de la dune à protéger le site[3]. Les travaux entrepris aujourd'hui par EDF permettront-ils d'éviter un Fort Calhoun français[4] ? Il faut espérer que les fortes marées des semaines à venir ne s'accompagnent pas de gros temps...
Aujourd'hui le risque est avéré demain il pourra être fatal
Les centrales sont décidément fort sensibles aux aléas météorologiques. Une corrélation forte existe entre la disponibilité du parc nucléaire et la fréquence des caprices de dame nature. Les sécheresses et les canicules l'ont donné à voir[1] et même amené l'ASN a publié quelques recommandations[2]. En 2013 c'est le froid qui a représenté la principale menace en particulier dans le Nord Cotentin[3]. Il n'y a pas une année sans qu'un événement naturel impacte la production nucléaire. Le changement climatique fait sentir ses effets[4]. On est en droit de douter que les centrale soient dimensionnées pour y faire face[5].
Ce problème est d'autant plus préoccupant que chacun reconnaît aujourd'hui que le niveau des océans s'élève[1]. Le niveau de la mer a grimpé de plus de 6 cm en vingt ans, à raison de 3,2 mm par an[2]. EDF n'ignore pas ce phénomène. En réponse aux questions la INTER-CLI Manche, l'exploitant a déclaré que «°dans la conception de l'EPR, ce phénomène de montée des eaux a été pris en compte et la plate-forme a été dimensionnée en conséquence. On considère que la hausse du niveau des mers pourrait être de l’ordre de 35 centimètres en 60 ans par rapport au niveau actuel[3].°» Le même optimisme demeure.
En effet la centrale de Flamanville rase les flots. La cote majorée de sécurité a été initialement évaluée à 7.50 m puis portée à 7.79 m en 2001. Mais ici la crue bord de mer par surcote (CBMS) peut atteindre 8.37 m au droit de la station de pompage. Comme à Penly les marges sont très faibles. La remontée de la nappe peut atteindre 11.40 m sous l'ilot nucléaire (12.40 m) et donc effleurer le radier. Quant aux installations de pompage, elles sont elles aussi exposées au risque de submersion. «°Au delà de la cote majorée de sécurité, la montée du niveau conduit à l'immersion des rampes de lavage des tambours (8.29 m). Dans ces conditions, le lavage des tamis n'est plus assuré, mais le dispositif de suivi de perte de charge des tambours reste opérationnel (jusqu'à 9.15 m)[1].» EDF oublie seulement de préciser là que la protection volumétrique n'est plus opérante au delà de 8.30 m. On a donc affaire à une installation dont le dimensionnement est en deçà de l'évaluation des risques faite par l'exploitant lui-même...
Les 21 et-22 mars prochains quand le coefficient de marée atteindra 118, il faudra être attentif à ce qui se passe à Flamanville. Si la houle est au rendez-vous, les 17 m de la digue ne suffiront peut être pas à protéger les réacteurs. Et combien même. Le risque majeur n'est peut-être pas celui que l'on croit. Le puissance de la houle dans un contexte de fortes marée peut causer de sévères dégâts à l'installation. L'exploitant reconnait que dans de telles circonstances des dégradations locales de la digue pourraient diminuer de 50% le débit nécessaire au fonctionnement des tranches. Pour parer à cela, il est prévu de passer en alimentation de secours (SEC) le temps que la mer s'apaise. Même si les réacteurs sont ramenés dans un état sûr, il n'en demeure pas moins que la centrale ne sort pas indemne d'un tel épisode.
Que penser dès lors de l'accumulation de tels événements°? D'aucuns croient ils que les centrales peuvent résister à la puissance des flots qui partout ailleurs grignote le littoral ? Bien des éléments amènent à croire qu'un telle confiance n'est pas réaliste. Même si des incertitudes demeurent, force est de reconnaître que le changement climatique a un impact sur la morphologie et la position des rivages[1].
Le trait de côte recule en particuliers en Normandie[1]. Ce phénomène n'est pas sans conséquence sur les centrales. Les premières sont des conséquences directes. 73.9% du littoral naturel et 18.9% du littoral artificiel reculent en Seine-Maritime[2]. Entre 1966 et 1995, 20 cm de falaise ont en moyenne disparu. Ni Paluel, ni Saint-Martin en Campagne ne sont épargnés. A l'ouest des CNPE la craie s'érode. Qu'en sera-t-il dans 10 ans ? Les abords des réacteurs ne risquent-ils pas d'être sévèrement fragilisés ? Ce problème n'est pas le seul. L'érosion entraine une accumulation de granulats en mer. A Penly, par exemple, on observe une envasement constant du chenal d'amenée par des granulats fins portés par la marée[3]. L'ASN a ainsi recommandé en 2011 de réaliser une bathymétrie afin de mesurer l’envasement ou l’ensablement au droit de la prise d’eau. Aujourd'hui on peut considérer que le volume global du chenal est diminué par cette accumulation de sédiments. Ne s'agit-il pas d'un facteur aggravant qui peut accroitre le risque d'inondation du site ?
La marée montante ramène donc vers la centrale bien des éléments, des granulats mais aussi des animaux, des plantes et des déchets d'origine anthropique. On touche là à un autre risque marin, le colmatage de l'alimentation en source froide. Le problème est bien connu[1]. Le 23 juin 2004, l'Autorité de sûreté nucléaire a été informée par l'exploitant de la centrale nucléaire de Paluel de l'arrêt des quatre réacteurs en raison de l'arrivée d'une quantité importante d'algues ayant provoqué l'arrêt d'une partie des installations de la station de pompage de la centrale. A Gravelines des mesures spécifiques sont définies depuis longtemps pour palier ce risque[2] puisque la centrale pompe quelques 10% du volume total de l’eau entrant dans l’Avant-Port Ouest de Dunkerque à marée montante. Quand celle-ci est puissante les incidents sont en effet fréquents[3] d'autant plus que de nouveaux enjeux apparaissent à la faveur du changement climatique[4].
Avec le nucléaire on n'est jamais très loin de la catastrophe. Parfois même elle survient. En décembre 2004, dans des conditions certes exceptionnelles, la centrale indienne de Kalpakkam a connu des défaillances majeures entrainant l'évacuation préventives de milliers de familles[1]. Il y a fort à craindre que ce genre d'événements se multiplient. Les risques de submersion marine en Gironde sont plus importants aujourd'hui qu'en 1999[2]. Beaucoup dès lors s'interrogent sur la nécessité d'adapter le littoral à cette menace croissante[3]. Puisque la mitigation du changement climatique n'est pas assurée l'enjeu est bien aujourd'hui de prévoir ses conséquences et d'en tirer les conclusions nécessaires : arrêter les centrales du littoral est une option qui doit être envisagé.
Pour conclure
A l'heure où le GIEC fait la promotion du nucléaire[1], il ne convient de ne pas céder aux sirènes des thuriféraires de l'atome comme le rappelle justement Stéphane Lhomme[2]. Même si chacun sait que les climatologues sont sous l'influence de l'AIEA et de l'AEN[3], on ne peut excuser un discours qui oublie sciemment de prendre en compte les risques nucléaires[4]. Loin de contribuer à l'atténuation du changement climatique dans les proportions annoncées par quelques uns[5], l'industrie climatique est une des activités humaines les plus menacées.
Les grandes marées du week-end dernier et celles de mars prochain prouvent que les centrales sont très sensibles aux caprices marins. Les équipes de conduite peuvent certes mettre à l'arrêt les installations si le risque de perte d'alimentation en source froide est majeur. Mais cela ne réduit en aucun cas le problème. La mer est une lime sourde qui cause de graves dégâts aux installations, au génie civil comme aux équipements. Marée après marée, les centrales s'usent. Nous l'avons vu au sujet des bétons. Il faudrait évoquer aussi les digues et la plateforme elle-même pour les centrales construites sur des Polders (Flamanville, Penly, Gravelines).
Ces installations pourront elles encore tenir longtemps ? Et à quel prix ? Ces questions méritent d'être posées à l'heure où EDF veut prolonger la durée d'exploitation des réacteurs. Combien même la robustesse des installations serait accrue en application des nouveaux référentiels de sureté, rien ne garantit que la technologie pourra faire face durablement à des agressions extérieures. La centrale la plus fiable n'oppose pas grand chose à la force des éléments[1]. Est-il pertinent dans ces conditions de persévérer dans ce choix ? On peut imaginer que d'autres options technologiques existent. Des solutions qui ne tentent pas vainement de s'opposer à la force de la mer mais l'utilisent sans exposer les territoires à des risques immenses[2]
Notes et commentaires :
[1] En France, l'ampleur de la marée par rapport à sa valeur moyenne est indiquée par le coefficient de la marée, exprimé en centièmes, qui prend une valeur comprise entre 20 et 120.
[3] http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2015/02/21/01016-20150221ARTFIG00066-grandes-marees-d-impressionnantes-vagues-fouettent-les-littoraux.php [4] http://www.leparisien.fr/environnement/en-images-grandes-marees-le-spectacle-a-commence-21-02-2015-4550783.php
[8] http://www.meteofrance.fr/prevoir-le-temps/phenomenes-meteo/les-vagues-submersions
[11] http://www.actu-environnement.com/ae/news/audit-surete-communication-commission-europeene-16735.php4
[12] http://www.lemonde.fr/europe/article/2011/05/12/crispations-europeennes-sur-les-stress-tests-nucleaires_1520653_3214.html ; http://fr.euronews.com/2012/10/04/stress-tests-nucleaires-constat-severe-malgre-une-version-finale-adoucie/
[13] http://www.rpfrance.eu/Les-tests-de-resistance-europeens
[14] http://eur-lex.europa.eu/legal-content/EN/TXT/PDF/?uri=CELEX:52012SC0287R(01)&from=EN
[15] http://europa.eu/rapid/press-release_MEMO-12-731_en.htm?locale=FR
[16] COMMUNICATION FROM THE COMMISSION TO THE COUNCIL AND THE EUROPEAN PARLIAMENT on the comprehensive risk and safety assessments ("stress tests") of nuclear power plants in the European Union Annex, Summary of Issues Recommended by Peer Reviews for Improvement in EU Member State Nuclear Power Plants, p 17-19
[17] Ibidem, p 11.
[22] http://www.greenpeace.org/france/PageFiles/266521/Etude_Greenpeace_5centrales.pdf
[22] En 2011, l'ASN regrettait que le renforcement de la protection contre la Houle à Gravelines n'avait toujours pas été réalisés
[23] c'est à l'issue de la révision de la RFS I.2.e en 2001 que la CMS a été portée à 7.74 m ramenant la marge minimum du remblai à 4.22 m
[24]; http://www.enerzine.com/2/11581+nucleaire---la-france-vulnerable-a-la-source-froide+.html
[25] document intéressant présentant les stations de pompage et les équipements de l'alimentation en source froide de Paluel et Penly : http://eduscol.education.fr/sti/sites/eduscol.education.fr.sti/files/seminaires/201/201-station-pompage.pdf
[26] http://www.asn.fr/sites/rapports-exploitants-ecs/EDF/penly/sources/indexPop.htm, p 106
[28] http://www.dissident-media.org/infonucleaire/blayais_dossier.html
[29] http://www.greenpeace.org/france/PageFiles/266521/Etude_Greenpeace_5centrales.pdf
[31] Concernant Gravelines, plusieurs points ont fait l’objet d’une lettre de suivi appelant une réponse de l’exploitant dans les deux mois. « Nous avons exigé certaines réparations d’urgence, notamment des filtres du système de refroidissement des réacteurs dont les supports étaient corrodés par l’eau de mer et dont certains ancrages étaient manquants », illustre François Godin.
[32] http://www.asn.fr/sites/rapports-exploitants-ecs/EDF/gravelines/sources/indexPop.htm
[35] voir le dossier présenté par le CLI MAG de l'hiver 2013-2014 http://www.cli-gravelines.fr/Services-en-ligne/Espace-documentaire/Documents-a-telecharger/CLI-Mag/%28offset%29/10
[36] http://www.lavoixdunord.fr/Locales/Dunkerque/actualite/Secteur_Dunkerque/2011/04/16/article_centrale-nucleaire-ce-qui-est-arrive-au.shtml http://www.eauxglacees.com/spip.php?page=imprimer&id_article=1009
[37] http://netia59a.ac-lille.fr/~vad/IMG/pdf/ddrm_inondation_2009.pdf
[38] http://memoiredescatastrophes.org/pdf/gz5u3hkhnjt/afficherDoc
[40] Le territoire à risque important d'inondation a une surface d'environ 163 000 000 m².
[41] http://www.eesc.europa.eu/resources/docs/michel-demet.pdf [4] http://www.sortirdunucleaire.org/Fort-Calhoun
[46] http://ecologie.blog.lemonde.fr/2012/06/07/les-centrales-sous-la-menace-du-changement-climatique/
[48] http://www.developpement-durable.gouv.fr/Niveau-moyen-global-des-oceans-par.html
[50] http://www.asn.fr/sites/rapports-exploitants-ecs/EDF/flamanville/sources/indexPop.htm, n°3 - 31/40
[51] http://www.seinemaritime.fr/docs/ogs-s-costa_06nov2014.pdf
[52] http://www.developpement-durable.gouv.fr/Les-risques-littoraux.html
[53] http://www.onml.fr/uploads/media/dossier_erosion.pdf
[54] https://halshs.archives-ouvertes.fr/hal-00162847/document
[56] http://www.cli-gravelines.fr/content/download/3154/40097/version/2/file/OPALE_2004-12.pdf
[57] http://www.energymed.eu/2013/05/27/une-centrale-nucleaire-ecossaise-arretee-a-cause-des-algues/
[59] http://www.sortirdunucleaire.org/spip.php?page=article_dossier&id_article=2660&id_dossier=#nb10
[60] http://www.sepanso.org/gironde/spip.php?article26
[61] http://littoral.aquitaine.fr/IMG/pdf/note_cadrage_colloque-debat_lr_avril_2014-2.pdf ; http://portail-video.univ-lr.fr/Dernieres-nouvelles-du-changement
[62] http://www.reporterre.net/Contre-le-changement-climatique-le http://www.enerzine.com/2/18166+nucleaire---lune-des-options-pour-lutter-contre-le-changement-climatique+.html
[63] http://observ.nucleaire.free.fr/giec-pachauri-jouzel.htm
[64] https://www.oecd-nea.org/press/in-perspective/addressing-climate-change-FR.pdf
[65] http://www.sortirdunucleaire.org/Comment-l-ONU-GIEC-fait-la
[66] http://www.wise-paris.org/francais/rapports/NucleaireClimatWISEParis.pdf http://static2.greenpeace.fr/blog/uploads/2008/01/docnukeeffetdeserre.pdf
[67] http://portail-video.univ-lr.fr/L-elevation-du-niveau-de-la-mer-s
[68] http://www.france-energies-marines.org/Les-energies-marines-renouvelables